Robert Spieler
Article paru dans Rivarol du 12 mars 2015
Le nouveau, et remarquable livre de Jean-Claude Rolinat, paru aux Editions Synthèse nationale évoque le maréchal Mannerheim, ce grand nationaliste qui sauva la Finlande de la mainmise soviétique. On découvrira dans cet ouvrage passionnant des textes d’Alfred Fabre-Luce, d’Henri Bordeaux et de François Duprat.
Mannerheim naît le 4 juin 1867 à Askainen dans une famille aristocratique finlandaise. A cette époque la Finlande fait partie de l’Empire russe. Il séjourne de 1882 à 1886 à l’école des cadres de Hamina dont il sera renvoyé du fait de son entêtement et de son indiscipline. C’est à partir de cet épisode que la mutation s’opère. L’adolescent turbulent, parfois violent, devient progressivement un jeune homme du monde au comportement sociable et distingué. Il entre à l’Ecole de cavalerie Nicolas de Saint-Pétersbourg dont il ressortira diplômé en 1889 : les chevaux occuperont toujours une place importante dans sa vie. Sa vocation militaire, qui est profonde, l’amènera, comme nous le verrons plus loin, à se réaliser d’abord dans l’armée russe (de 1887 à 1917) puis dans l’armée finlandaise de 1918 à 1951. Sa première expérience de la guerre se situe en Mandchourie où l’armée russe affronte le Japon, puissance montante en Asie, qui vient de lui infliger une terrible défaite maritime, l’escadre navale russe ayant été envoyée par le fond les 27 et 28 mai 1905, dans le détroit de Tsuchima. Il s’agissait de la première grande défaite du monde blanc, face au monde jaune…Lors de la bataille de Moudken, en Mandchourie, Mannerheim fait preuve d’un grand courage qui lui vaut d’être promu colonel. En 1907, il entame une mission scientifique d’exploration en Asie centrale et en Chine, le long de la célèbre Route de la soie. A l’été 1908, il rencontre le chef spirituel des Tibétains, le Dalaï-Lama. L’expédition a certes des objectifs de recherche ethnologique et archéologique, mais elle sert aussi de couverture à l’officier russe pour une mission de renseignement. Sa mission secrète était de collecter des renseignements militaires sur les garnisons de l’ouest et du nord de la Chine, sur les réformes entreprises dans l’armée chinoise ainsi que sur les itinéraires de marche praticables de la Russie en direction de Lanzhou et de Pékin. Reçu, à son retour, en audience par l’Empereur, il fut nommé commandant du régiment des Uhlans de la garde personnelle de Nicolas II, basée à Varsovie, et ne tarda pas à recevoir le titre prestigieuxde « général de la suite impériale ».
La « guerre d’indépendance »
Au début de 1914, Mannerheim prit le commandement de la brigade de cavalerie de Varsovie. La guerre allait embraser l’Europe. La capitale polonaise tomba aux mains des troupes du Kaiser et fut occupée par les Prussiens. Le courage qu’il montre au combat sur le front roumain, contre les forces austro-hongroises, lui vaut d’être décoré en décembre 1914 de la croix de Saint-Georges. Cependant le nouveau gouvernement russe le tient pour un fieffé réactionnaire. Le voici relevé de ses fonctions de lieutenant-général et placé dans l’armée de réserve. Il commence à penser à sa retraite militaire et envisage de rentrer en Finlande. Le 6 décembre 1917, la Diète finlandaise proclamait l’indépendance du Grand-Duché. Période difficile. Les gardes rouges armés narguent le gouvernement et préparent un soulèvement avec le soutien des soviets. Le gouvernement a besoin d’une force armée. L’homme de la situation était d’évidence le général baron Carl Gustav Mannerheim qui accepta le poste de commandant en chef. Il envoya depuis Helsinki au chef d’état-major russe, sa démission de l’armée russe en arguant sa qualité de citoyen finlandais et son adhésion à l’indépendance de la Finlande. Mais les Bolcheviks entendaient étendre leur révolution au monde entier, et notamment à la petite Finlande, déclarant la guerre aux forces « contre-révolutionnaires » du gouvernement de la Finlande. La guerre civile débuta le 28 janvier 1918 et se clôtura, du moins provisoirement, en mai de la même année. Le pouvoir se regroupa sur la côte occidentale, tandis que le Conseil des Commissaires du Peuple, fondé par les Bolcheviks, s’installait à Helsinki. Le général Mannerheim avait une mission : sauver la Finlande ! Il battit le rappel des anciens officiers d’origine finlandaise de l’armée russe. Il demanda au voisin suédois de faciliter l’envoi de volontaires. C’est grâce à la détermination du général que les troupes bolcheviqueset les insurgés socialistes présents sur le territoire furent vaincus et désarmés, les armes récupérées servant à équiper les nouvelles troupes gouvernementales. Le renfort d’un corps expéditionnaire allemand, ce que Mannerheim avait refusé dans un premier temps, par crainte d’une mainmise allemande sur son pays, contribua cependant au rapide dénouement de cette guerre que l’on nomma « la guerre d’Indépendance ». Malgré ce soutien important, la Finlande resta formellement neutre envers les parties belligérantes du conflit mondial.
Mannerheim, « roi de Finlande »
Sa victoire sur les communistes et la garantie, certes provisoire, de l’indépendance de la Finlande lui valurent une grande popularité. A telle enseigne que certains envisagèrent de le désigner roi de Finlande ! N’étant pas véritablement sensible aux honneurs mais ne voulant pas décevoir son peuple, il acceptera le 12 décembre 1918 le titre de Régent, fonction qu’il occupa jusqu’au 26 juillet 1919. Certains ne manquèrent cependant pas de le soupçonner de vouloir conforter les aspirations royalistes d’une partie de la population, voire de nourrir pour lui-même des ambitions par le biais d’un coup de force. Le nouveau président de la République, Pehr Evind Svinhufvud, connaissant la valeur du personnage, le nomma au poste de président du Conseil de Défense, fonction qu’il exerça jusqu’en 1939. Il développa l’industrie des armements de la Finlande, et se consacra à la coopération avec la Suède, notamment dans le domaine de la production d’armes. Il se rendit souvent en Allemagne, dans l’objectif d’y acheter des armes. Une obsession, mais Mannerheim connaissait le terrible danger potentiel que l’Union soviétique faisait peser sur la petite Finlande (moins de quatre millions d’habitants), mais aussi le poids écrasant de l’Allemagne. Son credo, d’une totale lucidité : « Il faudrait que la Finlande ne se querelle avec aucune puissance »
La « Guerre d’hiver »
Lors de la seconde Guerre mondiale, Mannerheim se rangea dans un premier temps du côté des puissances occidentales contre les « perturbateurs de la paix ». Le pacte germano-soviétique l’inquiète évidemment lourdement. Le 13 septembre 1939, l’URSS proclame solennellement qu’elle restera neutre vis-à-vis d’Helsinki. Mais quatre jours plus tard, elle exige la cession d’une partie du littoral arctique finlandais, l’installation d’une base navale dans la presqu’île de Hango, la rectification des frontières en Carélie et autour de Petsamo. Les soviétiques, qui ne reculent devant rien, revendiquent près de 3000 km2 de la région la plus riche en échange de 6000 km2 de landes et d’étangs ! Un négociateur finlandais est désigné. Mais les Soviets refusent de négocier avec le gouvernement « usurpateur » de Helsinki, ni avec le maréchal « réactionnaire » Mannerheim. Moscou invente un pseudo gouvernement communiste finlandais, qui s’installe à quelques encablures de la frontière et qui demande sans délai à Moscou de « libérer » la Finlande ! Et puis le 30 novembre, les troupes soviétiques entrent en Finlande au prétexte (parfaitement inventé) que sept obus finlandais auraient tué trois militaires russes. Ce qu’on appellera la « Guerre d’hiver » vient de débuter. La Finlande en appelle à la Société des Nations qui en exclut l’URSS, ce dont les Bolcheviks se contrefichent éperdument. L’issue semble ne faire aucun doute, tant les forces sont disproportionnées. Deux circonstances vont cependant favoriser les Finlandais. Les immenses forêts se prêtent aux embuscades sur les rares routes qui les traversent. Les températures de 30 ou 40 degrés au-dessous de zéro affectent davantage les Soviétiques, moins bien équipés. Les Finlandais ne possédaient aucunes armes antichars. Ils vont découvrir l’efficacité des cocktails Molotov. Des divisions entières de soldats russes furent anéanties, grâce notamment à des patrouilleurs finlandais très mobiles, vêtus de chaudes combinaisons d’une couleur se fondant avec le paysage, montés sur des skis (les Russes ne disposaient pas de telles unités), et jaillissant de nulle part. Ils étaient parfois accompagnés de rennes qui tractaient l’armement ! A propos de la forêt finlandaise, le maréchal Mannerheim a dit qu’elle était « la merveilleuse alliée des guerriers finlandais et n’éveillait chez les Russes que de la frayeur. C’est là que rôdait ‘la mort blanche’, le partisan finlandais dans sa tenue d’hiver ». Une histoire peu connue, que raconte le livre : A la fin de l’année 1939, un corps de volontaires étrangers, dont des Français s’était constitué pour venir se battre auprès de Finlandais. Parmi eux, l’admirable Jean Fontenoy, journaliste et écrivain fasciste, qui combattit dans la division Charlemagne et qui se suicida le 28 avril 1945 à Berlin. L’académicien (contemporain) Dominique Fernandez (le fils de Ramon Fernandez, qui fut membre du PPF de Jacques Doriot) a pu écrire que le « baroudeur » Fontenoy « avoisine Malraux par le talent et le distance par le panache »Mais chacun savait que la guerre entre l’URSS et la Finlande déboucherait inévitablement sur une victoire de la première. Les vagues inépuisables de soldats soviétiques finirent par submerger les lignes de défense. Face au désastre annoncé, la Finlande accepta l’invitation de l’URSS à discuter des conditions d’un armistice. Les conditions en furent des plus dures. Mais une revanche, certes qui ne durera pas, ne va pas tarder à se présenter.
La « Guerre de continuation »
L’invasion de la Russie par le Reich (l’opération Barbarossa) allait rebattre les cartes. Les autorités allemandes préviennent les responsables finnois dès janvier 1941 d’une possible guerre allemande contre Staline, demandant secrètement à Helsinki, d’autoriser le transit par leur pays des forces cantonnées au nord de la Norvège, et offrant des armes en contrepartie. Le gouvernement finnois accepte. Durant la guerre qui sera nommée « Guerre de continuation », la Finlande est certes engagée aux côtés de l’Allemagne, sans pour autant toutefois conclure de traité avec les forces de l’Axe. Mannerheim refuse d’engager les troupes finnoises dans le siège de Leningrad, ce qui ne fait guère plaisir aux Allemands. Son seul objectif est de récupérer les territoires finnois conquis par les Russes. Hitler se rendra en Finlande le 4 juin 1942 (date de l’anniversaire de Mannerheim) pour une visite que celui-ci tiendra à garder discrète. Un détail amusant : Hitler qui était beaucoup plus petit que Mannerheim (qui mesurait 1m90), portait des talonnettes ! En novembre 1942, le front soviéto-finlandais était stabilisé. Tous les territoires perdus en 1939/1940 avaient été récupérés. L’alliance entre la Finlande et l’Allemagne ne plut pas aux Anglais qui rompirent leurs relations diplomatiques avec le petit pays et lui déclarèrent la guerre ! Mannerheim était cependant convaincu qu’Hitler perdrait inéluctablement la guerre. La défaite de Stalingrad en était l’illustration. De discrets contacts furent pris avec les Soviétiques. Mais leurs exigences étaient si dures que les Finlandais n’eurent d’autre choix que de poursuivre la guerre. Mais ils étaient à bout de force. Le maréchal Mannerheim avait fréquemment rappelé aux Allemands qu’au cas où leurs troupes se retireraient d’Estonie, la Finlande n’aurait pas d’autre choix que de conclure une paix séparée avec les Russes, même si les termes de l’accord s’avéraient très défavorables pour leurs intérêts. Une Estonie occupée donnait à l’ennemi une base de départ pour un assaut par mer et par air et aurait interdit tout accès à la mer pour la Finlande. Le président HeikkiRyti démissionna le 4 août 1944 et Mannerheim fut exceptionnellement désigné président de la République par le Parlement (impossible évidement d’organiser des élections en pleine guerre), poste qu’il quitta le 8 mars 1946.
La « Guerre de Laponie »
Au printemps 1944, Staline avait décidé d’écraser la Finlande par une grande offensive terrestre dans l’isthme de Carélie.C’était la fin. Mannerheim savait que l’ennemi envisagerait l’occupation totale du pays si la résistance perdurait, et accepta un cessez-le-feu qui mettait un terme, le 4 septembre 1944, aux opérations sur tous les fronts. L’armistice fut signé à Moscou le 19 septembre. Les conditions en étaient très dures. L’armée devait être démobilisée et la Finlande expulser au plus vite toutes les troupes allemandes présentes sur son sol. Bien entendu l’armée du Reich refusa de se plier à cette exigence et les Finlandais n’eurent d’autre choix que de retourner leurs armes contre leurs anciens alliés.On l’appela la « Guerre de Laponie ». Les dernières troupes allemandes furent expulsées en avril 1945. Jean-Claude Rolinat pose la question : ‘Comment un grand soldat comme Mannerheim, patriote, nationaliste, ennemi de classe des bolcheviques, a-t-il engagé des conversations avec son ennemi juré ? Il répond : Parce que c’est la marque des grands hommes d’Etat de prendre en compte les réalités de l’heure et de sauver ce qui peut être sauvé plutôt que de poursuivre des chimères, à savoir une ultime, sanglante et inutile résistance. L’exemple du maréchal Pétain vient bien sûr à l’esprit.
Mannerheim se retire
Le maréchal allait quitter la présidence en mars 1946.Sans doute ces dix-neuf mois ne furent pas les meilleurs moments de sa vie. Il restait un goût amer de défaite, malgré les énormes sacrifices humains consentis. Et puis, la Finlande perdait définitivement la Carélie, cette Alsace-Lorraine septentrionale. Mannerheim, qui avait des problèmes de santé s’installa en Suisse, à proximité de Montreux, sur les bords du lac Léman et passa beaucoup de temps à l’hôpital de Valmont, où il était soigné. Le maréchal s’éteignit à Lausanne, le 28 janvier 1951. Les funérailles furent organisées à Helsinki le 4 février1951. 11 000 scouts et de nombreuses troupes en armes escortaient le cortège. Sur son tombeau est gravée la devise des Mannerheim : « Pro causa candida enso candida » (Pour une cause pure avec une épée pure). Tout comme Salazar le fut pour le Portugal, Carl Gustaf Emil Mannerheim fut désigné le 5 décembre 2004, par les téléspectateurs de son pays, comme « la plus grande personnalité finlandaise de tous les temps ».
Mannerheim, la Finlande face aux Rouges de Jean-Claude Rolinat (200 pages, 20 euros+ 3 de frais de port), Les Cahiers d’histoire du nationalisme, Editions Synthèse nationale, 116 rue de Charenton, 75012 Paris.
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