RIVAROL : Vous avez écrit un dictionnaire des polémistes, d’Antoine de Rivarol à François Brigneau. Pourquoi ?
Robert SPIELER : « La polémique est un combat et le pamphlet est une arme ». C’est par cette phrase que débute l’ouvrage de Pierre Dominique Les Polémistes français depuis 1789, paru en 1962 aux éditions du Vieux Colombier. Pierre Dominique, qui fut directeur de Rivarol mais aussi un romancier et un essayiste reconnu, a évoqué dans son livre ces polémistes français, de gauche ou de droite qui marquèrent leur époque, par leur fureur et leur talent. « Comme le soldat, le polémiste est détesté par les âmes sensibles ». De Mirabeau à Céline, de Rivarol à Henri Béraud, en passant par Proudhon, Rochefort, Edouard Drumont, Léon Daudet et Bernanos, sans oublier bien sûr Charles Maurras, la liste de ces combattants, qui mirent souvent leur peau au bout de leurs idées, est longue. Le livre de Pierre Dominique m’a servi de fil conducteur dans la rédaction de cette recension de rebelles. Je me suis bien sûr aussi inspiré d’autres ouvrages et aussi des informations recueillies sur internet. Ce petit ouvrage reprend les articles qui avaient paru, un an durant, dans RIVAROL. J’ai ajouté à ma recension Lucien Rebatet et François Brigneau, qui n’étaient pas évoqués dans le livre de Pierre Dominique.
J’évoque dans ce petit dictionnaire ces figures dont nous ne sommes évidemment pas obligés de partager les idées et la fureur, mais qui sont des fanaux de l’esprit français rebelle. En cette période effroyablement aseptisée où le politiquement correct règne en maître, il est salutaire de se plonger dans la lecture des polémistes, une lecture qui rend libre.
R. : De quand datent la polémique et le pamphlet ?
R. S. : La polémique et le pamphlet ne débutèrent certes pas avec Mirabeau et Rivarol. A défaut de vouloir tuer l’ennemi avec leurs épées, certains choisirent d’utiliser le langage, et ce depuis la plus haute Antiquité. Songeons aux injures proférées par les héros d’Homère. Dès que les hommes maîtrisèrent l’écriture, naquit le pamphlet. Le graffito, injurieux et ordurier, fleurit dans la Rome antique. Sur un plan plus littéraire, les Philippiques de Démosthène, les Chevaliers d’Aristophane sont des pamphlets, de même que, selon Pierre Dominique, les Provinciales de Pascal. Et puis, les mazarinades, tous ces libelles destinés à ridiculiser les maîtresses et l’entourage des Rois de France… Et Voltaire qui pour agonir son ennemi Fréron l’imagine piqué par une vipère ; la chute du pamphlet, écrit sous forme de poème : « Devinez ce qui se passa, ce fut la vipère qui creva »… Les plus grands prosateurs des trois derniers siècles sont des polémistes : Rabelais, Pascal, Saint-Simon, Voltaire que nous avons évoqué, Diderot, Beaumarchais et même Molière, que le Roi Louis XIV appréciait tant. N’a-t-on pas dit que ce fut le Roi qui lui souffla l’idée de son Tartuffe ? Le pamphlet peut se présenter sous forme de périodique : La Lanterne de Rochefort, le Crapouillot de Galtier-Boissière, un article de Daudet dans L’Action française, de Brasillach dans Je Suis Partout, de Béraud dans Gringoire. Béraud fut condamné à mort en 1944, pour « intelligence avec l’ennemi » et vécut de longs mois dans l’attente d’être fusillé. Béraud ne fut jamais pronazi. Pourquoi cette haine à son encontre ? Deux raisons : les socialistes l’exécraient. Ils le considéraient comme responsable du suicide de Roger Salengro, qui fut ministre de Léon Blum. Henri Béraud avait mené une campagne terrible contre lui, dans l’hebdomadaire Gringoire, dont il était l’éditorialiste, l’accusant d’avoir déserté durant la Première Guerre mondiale. Il avait aussi écrit un livre, avant la guerre, violemment orienté contre la Grande-Bretagne, Faut-il réduire l’Angleterre en esclavage ? Le Roi d’Angleterre demanda à De Gaulle la grâce de Henri Béraud et l’obtint. « On retrouve la polémique, vive et drue, furieuse, fielleuse, injurieuse, effrénée, cruelle avec de ces éclats de joie qui sont la philosophie des polémistes, en latin et en français, tout au long de l’Histoire de France », nous dit Pierre Dominique. Les années précédant la Révolution amènent une explosion de libelles, spirituels, orduriers, agressifs, violents. Ils n’ont pas peu contribué à la chute de la monarchie.
R. : Quelles sont les motivations du polémiste ?
R. S. : « Le polémiste, le plus souvent, n’est pas mené par le souci de nuire, mais par le besoin du combat, de l’action. Le lion, le chat griffent les écorces, le cheval, dans le pré, rue vers le ciel. Ecrire, c’est toujours se libérer. D’une fureur, d’un désespoir, d’une haine, parfois d’un amour, qui pourraient vous étouffer. Le polémiste repère une gouape, un marlou, un usurier, un arriviste, un vendu, et il siffle, il hue. Mais parfois, c’est une équipe d’hommes de main ou d’hommes d’Etat […] qui, eux aussi, ont droit au sifflet et à la huée. Ou bien une nation, une religion, toute une époque, car le polémiste a droit de regarder de loin et de haut ». Et Pierre Dominique de conclure : « Ce coup de sifflet, c’est un article, et cette huée, c’est un pamphlet. Puis, le polémiste, satisfait, rentre chez lui, où, peut-être, les gendarmes vont venir le chercher, parce que celui qu’il a sifflé, hué, est puissant, ou que la nation, la religion, l’époque par lui méprisées, bafouées, sont sacro-saintes. Mais peu importe : les gendarmes qui, sans doute, ont les menottes en poche, rencontrent un homme délivré ». Pierre Dominique écrivait ces lignes il y a cinquante ans. Depuis la loi Gayssot, depuis la mainmise de la police de la pensée sur la France et l’Europe, tant de femmes et d’hommes libres ont croupi ou croupissent en prison… Honneur à eux.
Propos recueillis par Jérôme BOURBON.
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Notons aussi un article fort élogieux sur ce Dictionnaire des polémistes dans l'Action française de cette quinzaine (en vente en kiosques).